Sombre.
Nuit.
Brrrrrr froid.

Je nage dans la neige depuis des générations d'éphèmères, à peu près 4 on dira.
On m'a délesté tant bien que mal, tard, tentant de me tétaniser pour me faire taire.
J'éspère que grâce à ceci ca ne sera que peine perdue.

Je suis parti dans un navire de scientifiques, avec plus d'arrivistes que de vrais hommes (ou femmes) de sciences à bord, seulement des personnages venus faire une visite dans une zone vraiment frisquette, pour faire croire qu'ainsi la génétique va avancer à grand pas, ou même la recherche sur les virus, voire le cancer, ou la génétique des virus qui ont le cancer. Enfin bref.
Je ne suis que vétérinaire, et ma passion, c'est les pingouins.
Et ici, ca grouille de pingouins.
La symbolique de cet animal a d'étrange le fait qu'ils représentent la bonhommie, l'aspect sécurisant du clan et de la famille, la chaleur, la sympathie et pourtant c'est des gros morceaux de caca dur, froids, et sauvagement méchants.
A la base, je n'avais rencontré que des spécimen pacifiques, un peu aggressifs à l'approche de leur nid, mais pas vraiment mauvais, mais là. C'était autre chose.

Peu après notre arrivée à la base scientifique de Terre Adélie, l'ambiance était posée. Ici, l'isolation avait du bon, elle permettait aux pistonnés et autres "copains de" de se payer un peu de bon temps loin de femmes, enfants, chefs ou autre tracasseries. Une sorte de club med pour docteurs et professeurs, avec les soirées arosées et une nuit dans chaque bungalow histoire de visiter le paysage.
On va dire que sur la trentaine de personnes que comptait la base, il y avait 2 vrais passionnés, qui avait obtenus leur visa pour le froid au bout de 10 années de paperasseries en tout genre, de justificatifs, de lettres de recommendations et autres fantaisies réservées aux personnes trop timides, 4 techniciens punis et envoyés là pour se faire un peu oublier, sans compter qu'il y avait de grandes chances pour que ce soit des militaires de surcroit, et qu'ils avaient du vraiment faire quelque chose de grave pour se retrouver à réparer des tuyauteries et des ordinateurs à l'autre bout du globe, et le reste, seulement des gens venus ici pour prendre 6 mois de vacances tous frais payés, exhonérés d'impots, de femme et de gosses, tranquille pour faire la fête, alcool russe à bas prix à la base d'à coté, et parfois quelques petits extras quand les américains passaient faire une visite.
Personnellement je me plaçais dans le dernier cas, avec un bon fond tout de même. Mon beau frère avait pu m'arranger le coup, il est vrai, tant il avait le bras long comme le pont de l'ile de Ré, et qu'il avait pu gratter les bonnes épaules. Mais je ne pensais pas me trouver au milieu d'une telle tripotée de débiles, à la base, je m'étais dit que je serais tranquille pour faire mes petites études, que je pourrais prendre mon temps, boire mes cafés et écouter du Goldman sans avoir à changer toutes les deux chansons pour mettre du Lorie pour faire plaisir à la gamine.
J'ai un peu eu tort.
Ah mais je ne me plains pas, dès le "pot de bienvenue", je m'étais fait de très bons amis, et j'avais un lit réchauffé assuré pour ce soir, voire même peut-être deux. Je me gardais la deuxième option pour une autre soirée, au cas où la première soit un peu trop .. ou pas assez ..
L'accueil fut chaleureux, avoir du sang frais faisait plaisir visiblement, ils devaient en avoir marre de taper sur les même épaules depuis 6 mois. Surtout que la base "Adélie" ne permettait pas vraiment de varier les plaisirs ...
Composées de 4 gros modules de vie (tout simplement des zones climatisées et équipées d'électricité et d'eau courante), elle devait s'étendre sur la taille d'un bon terrain de foot, en rajoutant à ca un hangar à véhicules, et un local à matériel de test (rarement utilisé).
Le premier module, un espèce de petit amas de préfabriqués militaires était sensé représenter les zones privées, à coup de petites chambrettes de 10m², un lit et un placard, c'était sensé suffire. Evidemment, la première chose qu'ont fait en arrivant nos collègues d'il y a 5 ans, lors de la première mission, c'est de descendre les murs et de faire de deux chambres une seule, de toutes manières, on ne restait pas célibataires longtemps ici, et même si ca tournait beaucoup, ca ne dérangeait personne de laisser ses affaires dans une chambre, et de dormir dans une autre. Oui, une sorte de club med.
En même temps, le dortoir avait moins d'importance que le 2e module, celui des salles communes, consacrées uniquement aux beuveries qui émaillaient la journée, pour les repas, il fallait juste se servir dans la cuisine, de toute manières, le cuisto, un ancien légionnaire finlandais connaissait plus de manières de tuer quelqu'un avec une cuillère que de manières de cuisiner un oeuf. Vlad. Avec un nom pareil, jamais je lui aurais mis un couteau dans les mains, si on considèrais aussi qu'il ne supportais pas les cheveux plus longs qu'un millimètre et demi, qu'il sortait en t shirt sur la banquise pour aller chercher du ravitaillement, et qu'il ouvrait avec assurance les boites de conserve avec ses dents, jamais je lui aurait confié mes gosses à garder. Ni mon chien.
Le reste de la base, c'est pas franchement un endroit fréquenté, ce sont les zones de recherche scientifiques, autant dire l'antre des 2 nerds de service, qui n'en sortent pratiquement qu'une fois par semaine pour récuperer un peu de nourriture, mais je les comprends, ils se sont installés des lits et vivent au calme au milieu des bactéries, elles au moins, elles vomissent pas partout.

Ma première nuit fut un enfer. Je dormai tout seul finalement, et je m'assurais que personne ne viendrait me rejoindre en posant un renard à coté de moi, d'une odeur tellement forte qu'il aurait repoussé le plus alcooliquement atteint des basques. Malgré tout, l'épaisseur d'un mûr de plastique fait que les ondes sonores ne sont presque pas ralenties, et mes collègues ont fété dignement leur rencontre. 3 fois.
Et le froid ... on a beau me dire que tout est climatisé, j'ai beau voir le mercure sur 21°C, je le sens, qui me transperce la peau, les muscles, et il remonte doucement dans mon cerveau, il le ralentit au point que chaque son, chaque mouvement est interminable, l'heure du radio réveil, seul lien à peu près tangible avec le peu de réalité qu'on trouve dans ce lieu, défile sous mes yeux ouverts de force par mes crampes abdominales, je n'ai pas dormi une seule minute.

Et ce n'était que la première nuit.
La deuxième fut pire, mon abdomen confirma sa position peut envieuse d'animal malade, et j'ai vidé plus que mon estomac et ma bile pouvaient contenir. Le médecin du camp, là aussi un ancien soldat, sûrement un commando vu la manière qu'il avait d'avancer en permanence à pas feutré en jetant des regards à droite à gauche et en passant le coin des couloirs, m'avait gracieusement offert une série de produits divers et variés "très efficaces pour les cuites qui passent pas". De la merde. Ca m'avait calmé les dix minutes qui me fallait pour me rendre de l'infirmerie à mon lit de mort.
A vrai dire, j'avais de la chance dans mon malheur, c'était ce jour la visite du propriétaire, avec grandes explications sur l'historique et l'explication technique de la station, ca méritait au moins 17/20 sur l'échelle du moment chiant.
Et j'étais plus que ravi d'être enfin au calme, débarassé de mes généreux confrères.
En fin de journée, mon ventre me rendit la main, et je pu enfin me lever pour faire un petit tour dans les modules désertés. Seuls rester bik et bak, enfermés dans leur labo, les autres étant toujours dehors. J'appris lors de ma visite que malgré le caractère purement scientifique des missions de la base Adélie, nous étions équipés d'un arsenal important de fusils d'assaut et de grenades, ainsi que d'armes de poing et d'armes blanches. On sait jamais, un pingouin aussi peut avoir son accès de folie. Plus par curiosité que par peur, je prenais un Glock et une boîte de cartouche, pensant aux 20 minutes que je pourrais perdre à m'amuser à tirer sur des canettes dans le désert blanc. Il fallait absolument que je pense à une occupation éloignée de mes con..frères.
A 21h, l'excurtion n'était visiblement toujours pas terminée, mais j'assistais au retour de l'électricien, un autre gaillard d'1m90, épais comme un taureau et sûrement aussi intelligent, je misais mon grog de ce soir sur un Para, accompagné de son collègue informaticien, responsable de la dizaine de PC de la base ainsi que des liaisions avec la mère patrie. C'était sûrement le seul technicien permanent de la base qui n'était pas un ancien tueur, dumoins, il n'en avait pas la carrure, mais il n'empêche qu'un truc devait clocher pour qu'il soit là, et il avait du faire une belle connerie avec le FBI ou la CIA, ou je sais pas quel truc à la Mitnick. La chose étonnante était qu'il s'entendait à merveille avec l'électricien, une sorte de couple Astérix/Obelix, avec une souris Microsoft dans le rôle d'Idefix.
Au moment où ils rentraient et m'aperçurent affalé devant un DVD de Jackie Chan, je lu sur leurs visage une légère pointe de surprise, ce qui ne manqua pas de m'amuser.
- 'soir prof, vous êtes pas avec les autres ? me demanda le petit geek
- Nope, c'est moi le malade, vous vous souvenez ?
- Ouais, fis le gros avec méfiance, je vois que ca va mieux ...
- Ca peut aller, dis-je avec un ton de défi.
Je regrettais aussitôt mes paroles, j'avais pas besoin d'embrouille, pas maintenant, et je m'étais foutu dans la merde connement. Bon ok, pas une grosse merde, mais suffisante pour m'empêcher de regarder Combats de Maîtres tranquillement.
Manifestement je me trompais encore, les deux gars ne me prêtèrent pas plus que ça d'attention, et partirent direction la cuisine sans demander leur reste ni même jeter un coup d'oeil vers moi.
Je m'aperçu alors que je tenais le Glock dans la main. Je l'avais depuis le début, quand j'étais ado, je jouais toujours avec un truc devant la télé, la télécomande, mon téléphone, et là, j'avais machinalement pris le Glock, j'étais persuadé de l'avoir bien planqué dans ma chambrette, et non, je faisais le cowboy dans un peignoir humide de vieux vomi et de transpiration affalé sur un canapé bon marché devant un DVD de kung fu. La pitié envers moi-même fut si grande qu'elle ramena avec elle mes douleurs abdominales, et malgré tous mes hoquets, rien ne sorti de ma gorge.

Minuit passé, c'est un des deux rats de laboratoire qui me le dit en me réveillant. Je ne les avaient pas vu auparavant, et ils sont pourtant exactement comme je les imaginais, plutôt grand et maigres, très sales, sûrement pas lavés depuis 1 semaine voire plus, avec une blouse blanche immaculée dont une chemise à carreau dépasse par le col. Celui qui me secoue sent une odeur d'Ether, on croirait un hopital à lui tout seul, mais ce qui me frappe c'est que je ne vois pas ses yeux derrière ces lunettes opaques.
"Réveillez-vous monsieur, il est minuit passée, et personne n'est rentré, je sais que ca n'a pas trop d'importance, mais le cuisinier devait nous préparer notre ration, et nous n'avons rien"
Evidement, ca peut être que l'appel de la bouffe qui ferait sortir des rats de leur cage.
En me relevant je remarque le deuxième acolyte qui attends en regardant par l'encadrure de la porte, il est carrément identique au premier, mais se cache dès qu'il me voit debout.
Effectivement, c'est bien calme. La table commune n'a pas été utilisée, pas d'odeur de gras émanant de la cuisine, visiblement les techniciens sont repartis. Me voilà à cet instant seul avec bik et bak qui ont faim et Dieu sait de quoi ils sont capables lorsque leur estomac les tiraille.

Ces idiots sont absolument incapables de s'en sortir seuls, ils me font sortir des boîtes de la réserve, je dois les porter deux par deux au maximum tellement mon ventre me tiraille, et personne ne lève un petit doigt pour m'aider, à tel point qu'au bout d'une demi heure, je leur ai sorti l'équivalent d'un cageot de super marché. Bik s'impatiente et murmure des propos sur des gels, Bak est toujours derrière la porte, mais je l'entends de temps en temps taper du pied, sûrement un code convenu pour les cas d'extrême urgence comme par exemple "le milieu de la bactérie Z821E a atteint un seuil d'oxygène critique, ramène toi vite". Qu'importe, ils patienteront le temps qu'il faut, moi, j'ai une excuse valable, et impossible de l'oublier celle là.

 

Pour la première fois je dors bien en Terre Adélie.
Ce n'est pas un miracle, c'est grâce au coup que j'ai reçu derrière le crâne quand je pensais en avoir enfin fini dans mon déménagement de denrées. En plus, ca a convenablement déplacé ma douleur, et je suis soulagé d'avoir une bosse sur laquelle je peux poser mes doigts, plutôt qu'un estomac torsadé. D'après la flaque de bave sèche qui gît autour de moi, je suis resté au milieu de la cuisine au moins 4 ou 5 heures, mais rien n'a bougé depuis, même ma cagette de conserves est là.
Mon premier réflexe en me levant fut de vomir un peu de la bile que j'ai retrouvé dans l'évier, ce qui pour une fois m'a fait le plus grand bien, et j'ai même éprouvé de l'appétit en voyant un paquet de Pépito dans un placard ouvert. Une fois bien nourri, j'entreprends de chercher un peu d'aide alentours, mais il n'y a définitivement toujours personne. Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas commencé par là, mais c'est devant la porte des modules de recherche que je finis ma quête, évidemment, elle est close, et pas un bruit n'en sort.
Je pense que c'est quand je vois la tâche de sang coagulé à mes pieds que je perds vraiment le fil de la réalité, en plus, armer un malade encore sonné, manquant de sommeil et sous l'effet d'un paquet de Pépito chocolat noir, ce n'est pas la meilleure idée qu'on pourrait avoir. De toutes manières, pas le choix, le Glock était dans ma main, et j'avais déjà tiré dans la porte comme dans les films américains, sans avoir pris la peine de vérifier si elle était vérouillée. C'est aussi à ce moment là que je prends la pleine mesure de la signification de "film". La balle écrase le verrou en prenant le soin de pulvériser le bois aggloméré de la porte en des milliers de petites échardes qui viennent pour la plupart se planter dans ma main et mon avant bras, déjà fortement secoués par le tir, et mon oreille droite refuse à partir de ce moment là de faire le moindre effort pour amener du son à mon cerveau.
Merde, ça saignait, bon, c'était pas pire que si j'avais tout pris en plein bide, mais du coup, j'en foutais plein mon joli t-shirt "Midi-Libre".
La porte s'ouvrit sous le choc de l'impact, en laissant aussi tomber ce qui fut le bloc poignée, et le tiers de sa structure, le temps que j'éponge un peu le sang dans un râle, je fus entouré de l'odeur d'Ether qui semblait caractéristique à ce labo.
Mes blessures étaient bénignes, heureusement, car j'en avais eu assez pour les 10 ans à venir, et le sang ne coulait pas à flot, il ne fallu qu'un petit passage sous l'eau du robinet pour nettoyer ma plaie, et après tout, la curiosité était plus importante que les 43 échardes plantées dans mon bras. Je pense aussi qu'à ce moment là, mon corps avait dit "FUCK" à mes nerfs, vu que je ne ressentais aucune douleur.

Un peu de bruit, quelque chose de disctinct mais que mon cerveau n'arrive pas à identifier, je me rapproche à nouveau de l'encadrure de la porte, et pénètre dans le laboratoire.

C'est un lieu tout ce qu'il y a de plus classique, paillasses, pipettes, bains marie, EXAO, cadavre de bik, produits dangereux, pingouin autopsié, et cadavre de bak. Mes collègues étaient tout simplement chacun d'un coté de la pièce, mais la position de leurs entrailles les rapprochait dans la plus grand intimité que l'on puisse partager post-mortem. A vrai dire, je pense que leur cage thoracique avait été perforée au centre la pièce, mais que chacun avait été projeté avec violence dans des directions opposées. Bik était à 1m de la porte, et c'est lui que je reconnu en premier, il tenait encore à la main une souris d'ordinateur dont le cable avait été arraché, je pense qu'il n'a même pas eu le temps de se rendre compte de l'aspect non-virtuel de ce qui lui ravageait le bas du ventre. Etrangement, c'est un situation qui m'aurait fait vomir mes Pépitos, mais non, malgré la puanteur qui se dégageait des 5 bons kilos de barbaque qui moisissaient au milieu des cultures de bactérie (et sûrement des virus) me paraissaît presque agréable, à croire que ma place de vétérinaire à Touari m'avait habitué à tout.
Bak, lui, était étalé à coté de sa tête, qui semblait posée avec précaution sur un petit chariot chirurgical immaculé. Il y avait tellement de sang sur le sol qu'il était impossible de poser les pieds ailleurs que dans de l'ex-Bik ou de l'ex-Bak. C'est toujours la curiosité qui me poussa à faire un tour du labo à la recherche d'un quelconque indice sur ce qui avait bien pu provoquer un tel carnage. En bon spécialiste de l'éspèce, je me penchais avec interrogation sur le pingouin posé sur la table d'opération. Contrairement à ma première impression, celui-ci n'était pas autopsié, mais semblait bel et bien être la 3e victime, lui aussi il était salement vidé, comme si on avait pris une grosse cuillère de la taille d'une casserolle et qu'on avait cherché à en faire une orange vide. Détail interessant, le pingouin portait un string. Le genre de petite chose affriolante qu'on achète pas cher à la redoute pour faire plaisir à Robert, qui va si bien au mannequin du magazine mais qui ressort tès mal sur Ginette. Moi qui pensait que mes nerfs étaient en panne, c'est bien d'un rire nerveux que je sorti de la pièce pour aller m'esclafer dans le canapé de la pièce commune adjacente. Non mais oh, un pingouin en string éclaté avec deux scientifiques renommés à coté dans le même état ?

Les 10 minutes qui suivirent furent entièrement consacrées à la recherche et à l'injection de morphine. J'avais eu ma petit période de dépendance, mais maintenant j'appelais ca "des extras", et là, j'en avais besoin. Visiblement, je n'étais pas le seul à consommer, il y avait là des doses de mamouth, et la boîte était à moitié vide.
Evidemment, aucune nouvelle du reste de la compagnie, ni même des deux techniciens rentrés plus tôt.

J'avais pas le tempérament d'un enquêteur, moi, ce que je voulais, c'est rentrer chez moi, et étudier les pingouins en zoo. J'avais fait des milliers de kilomètres pour voir seulement un cadavre de pingouin (en string rouge à dentelle) et endurer plus de douleurs en 48h qu'en 10 ans. Hors de question que j'essaye de découvrir qui avait tué bik et bak, par contre, hors de question que je reste seul dans cette base un instant de plus. Personne ne répondait à mes appels radios, remarque, personne ne devait m'entendre, je suis absolument hermétiques à tout ce qui est électronique, j'ai du parler à un satellite russe si ca se trouve.
Je prends un peu de temps pour me préparer et m'habiller chaudement, je récupère un FAMAS de l'armurerie ainsi que quelques cartouches, 3 boites de thon et 2 paquets de Pépitos, et je sors pour aller récuperer un de ces véhicules avec des chenilles dont on nous avait précisé le fonctionnement avant de venir. Mon but pour l'instant, c'est de trouver un endroit duquel on puisse partir loin d'ici, et une base limitrophe me semble la meilleure destination. Et peut-être qu'au passage, je croiserais un troupeau de collègues égarés ...

Le hangar a véhicule était vérouillé, mais c'était sans compter sur ma nouvelle capacité à briser les verrous. Je me postais à une vingtaine de mètres, allongé derrière un tas de neige que j'avais pris soin de compacter le plus possible, et je vissais cette fantastique invention qu'est la grenade du FAMAS. Couic couic couic couic. J'avais eu l'occasion de l'utiliser pendant mes classes, mais c'était sur des trucs en carton, là, ca allait être beau. Paf. Boum. La grenade a pulvérisé la porte et tout ce qui avait autour, et un petit peu de derrière. il m'a fallu attendre bêtement une heure que le feu se calme, ce qui m'a permis d'aller retenter la radio, manger un petit peu et mettre les restes de bik et bak dans la chambre froide et dans des draps.
Même si le pare brise de la chenillette était un peu noirci par endroit, l'engin était en parfait état de marche, miraculeusement conservé par l'autre chenillette postée devant et à moitié détruite par la grenade à fragmentation de mon FAMAS.

Armé de la boussole et du plan de la zone glaciaire, je me dirigeais avec espoir à travers la neige quand j'aperçu mon premier groupe de pingouins, et c'est avec émotion que je stoppai pour apprécier enfin ce pourquoi j'étais venu là. Le spectacle de cette centaine d'animaux tous blottis les uns contre les autres était émouvant, et je me permis d'ouvrir un paquet de mes gateaux chocolatés pour profiter pleinement du tableau. Je pris quelque clichés avec mon appareil photo numérique, j'étais à des milliers de kilomètres de mes récents problèmes. J'aime franchement regarder les bêtes, c'est exactement ce que ca me fait, j'oublie tout, ca me calme, je me prends à imaginer que je fais partie de leur clan, et que moi aussi je suis un membre indispensable, que sans moi, la survie de la famille est possible mais difficile, qu'il me faut tourner et tourner pour réchauffer mes congénères, montrer du bec aux prédateurs qui en veulent aux petits, et finalement simplement manger et procréer. Simple.

Il me paraît normal, vu la situation actuelle, que mon moteur ne puisse redémarrer. On a rien sans rien, et mes journées précédentes avaient été d'une très bonne qualité niveau mouise. Inutile de préciser que je ne pus me servir de la radio de bord avec succès, autant demander à un Gorille de faire une recherche sous Google. Après avoir passé 10h à essayer de redémarrer l'engin par tous les moyens possibles et sous le regard amusé des pingouins, je me décidais à prendre tout ce que j'avais dans le véhicule, et à faire demi-tour à pied vers la base.

Je n'ai pas vraiment souffert du froid, j'étais bien couvert, et le fait de marcher me réchauffait aussi, néammoins, j'avait l'impression de ne pas progresser. La troupe de pingouin semblait me suivre à l'horizon, toujours proche, mais sufisamment lointaine pour que je ne puisse qu'en deviner la chaleur qui s'en dégageait. Je semblai obsédé par la température ambiante, si j'avais eu un thermomètre, je pense que j'aurais passé mon temps les yeux rivés dessus pour être sûr que je n'attendrais pas le fatidique zéro absolu. Toutes mes convictions scientifiques avaient sombré au moment de la panne de la chenillette. Au fure et à mesure que j'avançais à la lueur du jour permanent, avec un vent léger et un ciel bleu à peine émaillé de nuages, je sentais doucement monter la certitude que j'étais victime d'une poupée Vaudou, une épingle plantée à chaque muscle qui me tiraillait ou qui se tendait en une longue crampe, et il y en avait beaucoup, je n'ai jamais été vraiment sportif, j'ai passé plus de temps à courir après les jupons de ma femme que dans un club de gym à draguer de la bimbo.

Ma femme. Comme au cinéma, quand un soldat tombe mourant, il pense toujours à sa femme, ou à sa maman. Ma mère est morte de sa belle mort, et ma femme ... elle croit sûrement que je suis devant des tubes à essai, en train de découvrir une nouveau "bidule microbe", elle est toujours sidérée face à ce qu'elle pense être mon savoir universel. Si elle se doutait seulement que je parlais à des pingouins, miné par les heures de marche, et que je les défiai à un combat sans merci avec moi, le plus grand héros du Pôle Sud.
Evidemment, j'avais dévié de ma route pour me trouver maintenant au milieu de l'attroupement, qui ne m'avait pas du tout considéré comme un prédateur, je devai pluôt être une bête curieuse, avec mon gros manteau rouge, vociférant "VOUS ALLEZ TOUS CREVEEEEEER".

Big Kahuna Pongoo me répondit calmement :
- "Allons, allons, reste calme, tout se négocie ici, tes potes ont eu droit à la déculottée, tu peux poser ton droit de vengeance, c'est pas que cela soit une tradition, mais ca me semble logique, et j'ai pas envie qu'encore une de mes nana y passe à cause d'une folie meurtrière à la con dont vous avez le secret .."
Cet énorme pingouin avait surgit du groupe, il semblait allongé au milieu, ce qui expliquerait que je ne l'ai remarqué plus tôt. Il devait mesurer 2m50 environ, et était affublé d'une cape rouge, ainsi que d'une couronne en papier doré un peu froissé, et il portait sur sa poitrine un petite signe le nommant "Big Kahuna, Pongoo among Pongoos". Presque l'employé du mois, si ce n'était cette odeur de vieux pet qui en emanait, et qui semblait venir de son bec entrouvert. Point culminant de ses accessoires, un petit pendentif composé d'un cordon Rouge/Vert/Jaune et d'une sorte de continent africains en cuir sur lequel on pouvait lire "Jah Love".

Je mis environ 2 minutes à sortir de ma stupefaction, et Big Kahuna qui semblait habitué attendit patiemment ma réaction, et je pense, une réponse.
Mon réflexe fut humain, je saisis le FAMAS et retirai la sécurité, mais les premières rafales partirent dans le vent juste après que le monstre m'ai baffé dans les règles de l'art, en m'envoyant bouler par la même à une douzaine de mètres de là.
-"Tous les même ... hé, l'ami, tu pourrais pas causer avant de tirer, ca m'éviterai de vous déblayer la face à chaque fois"
Je fis le mort, et sortai discrètement une grenade de ma veste, la degoupillai et attendai qu'il s'approche.
Ce con de pingouin plus que géant ne fut pas dupe, il me ramassa d'une patte, me pris la grenade et l'envoya exploser plus loin dans la neige, j'étais son prisonnier.