Spéciale dédicace
Il rampe dans l’ombre du coin de la pièce, j’entends ses grattements irréguliers, il s’approche, sur mon canapé je fais face au coin, figé, les yeux tellement ouverts que je les sens refroidir et s’humidifier. Les frottements semblent venir de si près et de si loin à la fois que je ne peux déterminer si c’est le fruit de mon esprit fatigué ou une réalité à laquelle je ne souhaite pas participer.
Je saisis enfin sa forme, d’abord petit, vibrant et criant d’un hurlement étouffé et lointain, il devient progressivement immense, l’ampoule posée derrière moi demeurant encore trop faible pour l’éclairer, ou peut-être refuse-t-il tout simplement la lumière, car c’est une ombre de trois mètres de haut qui se tient dans le coin de ma pièce maintenant, ses membres n’appartiennent pas à une anatomie que je connais, et son souffle est constitué de mille voix suppliantes et déchirantes de souffrance, le parquet grince sous le coup de son premier pas vers moi, je ne distingue toujours que de l’ombre, frétillante et versatile, mon cerveau souhaite sans doute m’épargner en m’empêchant de saisir ce qui me fait face, je suis enfoncé dans mon canapé, écrasé par le poids de ma terrreur, et pour accompagner mes yeux, ma bouche est maintenant béante, souhaitant crier, rien ne sort de ma gorge.
Il s’approche encore d’un pas, ou d’un roulement, je ne sais pas, les vibrations qui remontent du sol par mes pieds jusque dans ma colonne vertébrale me saisissent encore plus et mes poils sont tellement dressés sur l’intégralité de mon corps que le contact de mes vêtements m’est douloureux. L’ombre est sur moi, et elle se dissipe, oh non, je ne l’ai pas souhaité, aucune curiosité au monde ne peut souhaiter ca, jamais je n’ai voulu savoir, et il m’est impossible maintenant d’oublier ce que je vois, et je ne peux omettre non plus la douleur provenant du cri que j’ai enfin reussi à pousser face à lui.
Pourtant, elle est tellement minuscule comparée à l’instant où il pénètre mon corps de ses milles aiguilles brûlantes, qu’il dévore mon esprit et me donne un aperçu de l’Enfer en me refusant le soulagement d’une mort immédiate, me soulevant du canapé au dessus de lui, le contenu de mon abdomen coule le long de ses membres, leur donnant enfin une teinte naturelle, pas à mon soulagement malheureusement, mes yeux et ma bouche sont aussi ouverts que mon ventre, et mon souffle provoque un soyeux nuage de buée alors que je brûle de l’interieur, me sentant de plus en plus léger et de moins en moins vivant, la pente glissante vers ma mort est semée de peines, mais je sais qu’une fois arrivé, tout cela sera terminé.
Un par un, méthodiquement, il rompt chacun de mes os, en me maintenant toujours au dessus de lui, son corps comme un vortex roulant et craquant au rythme de mon souffle, il est patient, il se nourrit de ma vie, et il lèche ses doigts comme un enfant après une tartine de Nutella.
Quand il décide enfin d’en finir avec moi, je le remercie d’un sourire, l’ampoule faiblit et s’éteint en même temps que moi, la pièce revient au calme, et dans un dernièr hurlement, je disparais dans le coin avec mon passeur vers l’autre monde.