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Dying in your hands

14.07.2005 · Posted in General

Ne me mens pas, ne prétends pas me connaître si tu ne te souviens pas de ces premières fois, ce premier jour où tu as osé me parler, où j’étais juste un peu perdu dans ce quartier de Lyon, avec mon plan en anglais.

Tu dis que tu te souviens de tout, comment puis-je te croire, tu n’as pas tiqué quand j’ai parlé de notre chanson, j’ai dit « She loves you », tu as acquiescé d’un air complice, alors que c’est « Angie », bordel, les Beatles et les Stones, pourtant, tellement impossible de confondre ça …

J’étais complétement paumé et je cherchais simplement un metro, un bus, un transport en commun où me traîner pour sortir de ce centre ville puant et gris, et m’amener dans un parc avec du vert, des oiseaux, peut-être un peu d’eau verte et stagnante, recouverte de canards et de nénuphars.
Tu m’as demandé « are you lost ? », j’ai répondu que je ne parlais pas anglais, et que c’était justement ce qui me génaît le plus pour m’orienter avec le seul plan que le buraliste avait encore. Là en théorie, je te décris avec précision tes vêtements, ton odeur et ta coiffure, l’était d’usure de tes infâmes santiags, mais en fait non, j’aimerais tellement que tu te trompes encore en essayant de te souvenir, et que je puisse t’en vouloir encore un peu, pour encore plus transformer mon amour en haine de toi.
Une fois arrivé dans un parc minable sans eau, sans canard, sans nénuphar, mais avec un clochard et un camé, je me suis assis et ai foutu mon casque sur les oreilles, il me semble que tu as assez mal pris que je ne te dise pas merci ni aurevoir, et c’est sans doute grâce à ça que tu as osé t’assoir à coté de moi et ouvrir ton livre, un espèce de roman de SF bateau à la tranche presque noire de crasse en son centre, signe de la douzième lecture, au moins.

J’ai baissé le volume de mon iPod et commencé à te regarder, enfin pas vraiment toi, surtout tes chaussures, parce qu’une fille avec des bottes en croco, c’est quand même étrange, et ça n’allait pas vraiment avec tes lunettes emo, alors je suis un peu tombé dans ton piège, et j’ai retiré mon casque, on entendait encore Costello geindre en grésillant à distance, j’ai commencé à te parler

« Des santiags, des vraies en plus te provoquai-je
– Ce sont celles de mon père, c’est du quarante deux, trois tailles de plus que moi, m’as-tu répondu
– Elles ne lui manquent pas ?
– Si, je pense, il est cow-boy en Camargue, mais il en a d’autres (lassée)
– Et votre mère est indienne ? tentai-je, osant la pire blague qu’on puisse trouver en cet instant.
– Non elle est de Lyon, pure souche depuis cinq générations, affirmas-tu, sûre de toi. »

J’ai remis mon casque, monté le son, et tu as continué à me regarder, semblant attendre un petit geste.
Je n’ai pas bougé pendant trois chansons, toi non plus, puis j’ai re-regardé tes yeux, et avec un sourire, me suis mis à loucher, tu as rigolé et m’a tapé avec ton livre, le doigt coincé comme un marque page.
J’ai imité le cri du cowboy, tu as encore rigolé, et tu as baissé la tête et les yeux, un peu rougis, puis me regardant d’en bas, ça a fait dzzzzt et j’ai juste soulevé tranquillement ton menton et posé mes lèvres sur ta bouche sans que tu n’opposes aucune resistance.
J’avoue que tu avais meilleur goût alors, tu évitais de bouffer en continu tes chewings gums à la chlorophile comme maintenant, ce qui est assez désagréable.

Dans mon casque, il y avait « Angie », et dire que d’habitude je zappe cette chanson, là je l’ai laissée filer le temps que tu poses tes mains sur mes épaules et me rende ce baiser d’inconnus, pas très assuré.
Je me suis relevé, j’ai fait semblant de partir, et suis revenu, tu m’as répondu avec un coup de santiag dans le tibia, et ça fait foutrement mal.

C’était « Angie » qui passait.

Deux ans et demi plus tard, je brûlais tes santiags, avec l’accord de ton père, qui en avait presque autant horreur que moi, le problème était que tu y tenais. Comment une paire de bottes peut-elle tout foutre en l’air ? On peut pas dire que ce soit l’accumulation de petites tensions, une goutte d’eau ou un machin comme ça, nous avons passé ces années paisiblement et sans accroc, mais les santiags, visiblement, c’était sacré, bordel, c’était sacré, et je ne l’ai jamais su, enfin, là, maintenant, je le sais, du coup.

S’il te plaît, coupe « She loves you », c’était « Angie », je te dis.

Non mais ces bottes, honnêtement, même sacrées, elles étaient moches, et ton père t’en as acheté des plus portables la semaine suivante, après que tu lui ai envoyé une lettre contenant de la poudre blanche.
Lui non plus ne mérite pas ce que tu nous fait, pour tes putains de bottes.
Non j’ai pas dit putain, je suis désolé.
Arrête de déconner, merde, des bottes, et la vie de ton père et de celui que tu aimes, enfin, que tu es censé aimer, il n’y a pas de comparaison.
Non ?

She loves you yeaaaaah yeaaaah yeaaaaah.

J’écris sur le mur un dernier mot pour mes parents d’accord, ne l’efface pas, ensuite tu pourras faire ce que tu veux et lancer ton allumette sur moi.

Je sais que c’était une mise en scène macabre que de foutre le feu à tes chaussures, mais j’en suis désolé.
Pitié, pas comme ton père.
Je t’en supplie, ne lâche pas ton allumette, non.
Pitié, mes parents, pense à eux, pense à nous aussi, on pourrait fonder quelque chose, oublions les bott..NON, NON, NE LES OUBLIONS PAS, NON !!
NON !!!

And with a love like that, you know you should be glaaaad.

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