La mort du Geek
Admettez que l’accroche du titre est bonne, vu qu’elle me permet directement d’expliquer de quoi je vais parler dans le reste du post : dans le « Geek » du titre, j’entends le mot lui-même « Geek », car c’est le problème qui me pousse à écrire un peu : le mot « Geek » est mort.
J’explique encore : à partir de quel moment je me permet de dire qu’un mot est mort ? D’après moi, c’est dès que celui-ci est complètement vidé de son sens autant initial et étymologique, que dérivé, subjectif et familier. Le mot Geek est mort, car aujourd’hui, il ne veut plus rien dire du tout.
Il y a quelques temps, toutankh nous gratifiait d’un post nous expliquant pourquoi les gens se trompaient quand ils employaient le terme Geek, mais aussi d’accord que j’ai pu l’être, je me vois dans l’obligation de constater que loin d’une mauvaise utilisation, c’est l’abus, le viol et le fourrage général de tout dans le terme qui l’a tué et en a fait aujourd’hui le nouveau mot pour se justifier d’une différence par rapport à son interlocuteur.
Le plus marrant, c’est qu’un terme aussi mal connoté il y a à peine 10 ans, devienne galvaudé aujourd’hui, un peu comme le mot vaurien est devenu après Star Wars une espèce de petite insulte amicale et coquine désignant un homme rebelle et charmant à la fois. Sans vouloir encore redéfinir une énième fois de manière subjective ce qu’est un « Geek », je peux néanmoins tenter de vous décrire ce à quoi il ne correspond pas : une gourde avec un iphone qui surfe sur son blog.
Internet est à la base, du point de vue grand public, en 1995, un truc uniquement d’informaticien, et en 1995, un informaticien est le summum de l’horreur, une créature asociale est infréquentable, qu’on rejette au profit d’un « grand brun musclé et bronzé », on est en pleine phase 2be3, mec, c’est normal. Tout élément un tantinet technologique est l’apanage d’individus bizarres à lunettes, pantalon à pince et chemise moche, les « lunetteux » ou les « têtes de noeud », ce que vous voulez qu’un américain appellait alors Geek ou Nerd selon la profondeur de l’asociabilité.
Puis après papa, maman a eu un téléphone portable pour s’organiser pour ramasser les gosses à 17h, Carouf a vendu des ordinateurs CYBOX et Packard Bell à un prix modique, et on a enfin eu droit au dégroupage. Est alors advenue l’ère de l’informatique grand public, ou celle des « nouvelles technologies de l’information et de la communication », que si tu as jamais entendu NTIC dans ta vie c’est que tu fréquentes pas assez de bullshiteurs.
A cette période encore, Internet ne sert qu’à trouver et commander des voyages en avion discount et faire du tchat sur caramail, la caste spéciale des informaticiens y évolue comme une bactérie dans un putain de bon milieu nutritif, il y a de quoi nourrir tout le monde, et c’est sacrément bon, une sorte d’âge d’or, oui cet « avant » de quand les gens disent « c’était mieux avant« .
Marketing et reportage dans Capital aidant, Internet, les téléphones portables et autres gadgets deviennent les nouveaux dadas du CSP+, après le jardinage et le bricolage, à un tel point que ses domaines sont d’un coup ceux de tout le monde, et plus seulement d’une poignée de personnes étranges, et entre nous, c’est tant mieux, mais l’effet pervers est que ces nouveaux utilisateurs, effrayés par leur nouveau pouvoir, restent encore sur le préjugé « Internet c’est pour les informaticiens ». S’en suit alors le plus gros amalgame que l’univers ait créé depuis filles=pms, « Si je suis sur Internet, c’est que je suis informaticien ! ». CQFD.
Evidemment, appliquez alors la formule à tout un monde de NTIC cachées et honteuses, d’un coup géniales et indispensables, allez, allons même jusqu’aux extremes ; pendant toutes ces années, les jeux vidéos n’étaient réservés qu’aux adolescents boutonneux (qui soit dit en passant, jouaient au foot et aux voitures), mais maintenant il y a un super jeu vidéo pour maigrir, ça s’appelle la Wii, OMG JE SUIS UNE GEEKETTE, car nous le savons bien, seuls les informaticiens ado attardés lunetteux jouaient et jouent aux jeux vidéos. Le problème est que la Wii est aux jeux vidéos ce que le vélo d’appartement est au cyclisme sur piste olympique : un truc risible.
Toute la force du marketing, (et encore une fois, je ne blâme absolument pas l’accès de monsieur tout le monde aux NTIC, par quelque moyen qu’il soit, je trouve ça même nécessaire et encourageant) a été de vendre des choses que les gens pensaient réservées à des spécialistes, tout en leur faisant croire qu’ils deviendraient eux aussi des spécialistes, et ça n’a que trop bien fonctionné.
Vous avez donc bien saisi, pour moi le mot geek est mort dès le moment où sa définition s’est rapproché de celle bien plus générale de citoyen lambda. Dès lors, porté comme un étendard pour affirmer sa différence « je suis trop un geek / une geekette », il a autant de valeur que du pipi de moineau pour qui a connu ce mot à une période où il signifiait réellement quelque chose. D’ailleurs, qui se sent insulté quand il est traité de geek ? qui d’ailleurs se sert de ça comme insulte ? c’est so-1999 !! Dans les collèges maintenant on te traite de nolife ou d’intello (le grand classique), mais sûrement pas de geek !
Alors, est-ce que tout le monde assume maintenant son coté geek longtemps refoulé par crainte du rejet social ? Oui et non. Il est évident que de parler de ses passions chelous est beaucoup moins tabou qu’avant, c’est peut-être même un bon élément de conversations communes avec de nouvelles connaissances, mais le niveau de sincérité devient du coup artificiel, certains s’improvisant des passions chelous pour affirmer leur différence, malheureusement blogger, twitter, aimer les téléphones portables et les lecteurs mp3 n’affirment aucune différence de nos jours, bien au contraire.
Est-ce que je me sens geek ? Non, peut-être fut un temps, oui, mais non, je ne suis pas geek, je ne suis pas nerd, à vrai dire, je ne suis peut-être gamer dans le sens où c’est là où je passe le plus de temps de loisirs, mais avant tout, je me sentirais moralement coupable de me définir geek ou nerd, à tel point j’ai pu respecter ce que ça signifiait un jour et le niveau de passion de ces individus pour leurs domaines. Pourtant, quand je lis « le journal du geek » ou « geek and hype », je ne peux pas m’empêcher de sentir une révolte monter en moi, en quoi un systême ultra propriétaire et fermé, entouré d’un nuage de poudre aux yeux, comme l’iPhone peut-il être considéré comme geek ? En quoi une ribambelle d’actualités sur des téléphones portables plus identiques les uns que les autres, des pc portables ou des sites pseudo-utiles de réseau social est-il geek ? C’est sûrement dû à un problème d’experience personnelle ou d’éducation, mais je ne vois pas …
Heureusement, il nous reste encore le mot Nerd avec lequel on peut encore insulter quelques gros Gee..NERDS !